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18 septembre 2014 4 18 /09 /septembre /2014 11:26

Voici un poème que Victor Hugo a écrit le 18 septembre 1859 : 
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LES CHANSONS DES RUES ET DES BOIS

LIVRE PREMIER - JEUNESSE

XX - LETTRE
 

J'ai mal dormi. C'est votre faute.

J'ai rêvé que, sur des sommets,

Nous nous promenions côte à côte,

Et vous chantiez, et tu m'aimais.

 

Mes dix-neuf ans étaient la fête

Qu'en frissonnant je vous offrais ;

Vous étiez belle et j'étais bête

Au fond des bois sombres et frais.

 

Je m'abandonnais aux ivresse ;

Au-dessus de mon front vivant

Je voyais fuir les molles tresses

De l'aube, du rêve et du vent.

 

J'étais ébloui, beau, superbe ;

Je voyais des jardins de feu,

Des nids dans l'air, des fleurs dans l'herbe,

Et dans un immense éclair, Dieu.

 

Mon sang murmurait dans mes tempes

Une chanson que j'entendais ;

Les planètes étaient mes lampes ;

J'étais archange sous un dais.

 

Car la jeunesse est admirable,

La joie emplit nos seins hardis ;

Et la femme est le divin diable

Qui taquine ce paradis.

 

Elle tient un fruit qu'elle achève

Et qu'elle mord, ange et tyran ;

Ce qu'on nomme la pomme d'Ève,

Tristes cieux ! c'est le coeur d'Adam.

 

J'ai toute la nuit eu la fièvre.

Je vous adorais en dormant ;

Le mot amour sur votre lèvre

Faisait un vague flamboiement.

 

Pareille à la vague où l'oeil plonge,

Votre gorge m'apparaissait

Dans une nudité de songe,

Avec une étoile au corset.

 

Je voyais vos jupes de soie,

Votre beauté, votre blancheur ;

J'ai jusqu'à l'aube été la proie

De ce rêve mauvais coucheur.

 

Vous aviez cet air qui m'enchante ;

Vous me quittiez, vous me preniez ;

Vous changiez d'amours, plus méchante

Que les tigres calomniés.

 

Nos âmes se sont dénouées,

Et moi, de souffrir j'étais las ;

Je me mourais dans des nuées

Où je t'entendais rire, hélas !

 

Je me réveille, et ma ressource

C'est de ne plus penser à vous,

Madame, et de fermer la source

Des songes sinistres et doux.

 

Maintenant, calmé, je regarde,

Pour oublier d'être jaloux,

Un tableau qui dans ma mansarde

Suspend Venise à quatre clous.

 

C'est un cadre ancien qu'illumine,

Sous de grands arbres, jadis verts,

Un soleil d'assez bonne mine

Quoique un peu mangé par les vers.

 

Le paysage est plein d'amantes,

Et du vieux sourire effacé

De toutes les femmes charmantes

Et cruelles du temps passé.

 

Sans les éteindre, les années

Ont couvert de molles pâleurs

Les robes vaguement traînées

Dans de la lumière et des fleurs.

 

Un bateau passe. Il porte un groupe

Où chante un prélat violet ;

L'ombre des branches se découpe

Sur le plafond du tendelet.

 

À terre, un pâtre, aimé des muses,

Qui n'a que la peau sur les os,

Regarde des choses confuses

Dans le profond ciel, plein d'oiseaux.

 

18 septembre 1859
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