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27 août 2014 3 27 /08 /août /2014 16:13

Voici un poème que Victor Hugo a écrit le 24 septembre 1872 :

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L'ART D'ÊTRE GRAND-PERE

I - A GUERNESEY

I - L'EXILE SATISFAIT
 

Solitude ! silence ! oh ! le désert me tente.

L'âme s'apaise là, sévèrement contente ;

Là d'on ne sait quelle ombre on se sent l'éclaireur.

Je vais dans les forêts chercher la vague horreur ;

La sauvage épaisseur des branches me procure

Une sorte de joie et d'épouvante obscure ;

Et j'y trouve un oubli presque égal au tombeau.

Mais je ne m'éteins pas ; on peut rester flambeau

Dans l'ombre, et, sous le ciel, sous la crypte sacrée,

Seul, frissonner au vent profond de l'empyrée.

Rien n'est diminué dans l'homme pour avoir

Jeté la sonde au fond ténébreux du devoir.

Qui voit de haut, voit bien ; qui voit de loin, voit juste.

La conscience sait qu'une croissance auguste

Est possible pour elle, et va sur les hauts lieux

Rayonner et grandir, loin du monde oublieux.

Donc je vais au désert, mais sans quitter le monde.

Parce qu'un songeur vient, dans la forêt profonde

Ou sur l'escarpement des falaises, s'asseoir

Tranquille et méditant l'immensité du soir,

Il ne s'isole point de la terre où nous sommes.

Ne sentez-vous donc pas qu'ayant vu beaucoup d'hommes

On a besoin de fuir sous les arbres épais,

Et que toutes les soifs de vérité, de paix,

D'équité, de raison et de lumière, augmentent

Au fond d'une âme, après tant de choses qui mentent ?

 

Mes frères ont toujours tout mon cœur, et, lointain

Mais présent, je regarde et juge le destin ;

Je tiens, pour compléter l'âme humaine ébauchée,

L'urne de la pitié sur les peuples penchée,

Je la vide sans cesse et je l'emplis toujours.

 

Mais je prends pour abri l'ombre des grands bois sourds.

Oh ! j'ai vu de si près les foules misérables,

Les cris, les chocs, l'affront aux têtes vénérables,

Tant de lâches grandis par les troubles civils,

Des juges qu'on eût dû juger, des prêtres vils

Servant et souillant Dieu, prêchant pour, prouvant contre,

J'ai tant vu la laideur que notre beauté montre,

Dans notre bien le mal, dans notre vrai le faux,

Et le néant passant sous nos arcs triomphaux,

J'ai tant vu ce qui mord, ce qui fuit, ce qui ploie

Que, vieux, faible et vaincu, j'ai désormais pour joie

De rêver immobile en quelque sombre lieu ;

Là, saignant, je médite ; et, lors même qu'un dieu

M'offrirait pour rentrer dans les villes la gloire,

La jeunesse, l'amour, la force, la victoire,

Je trouve bon d'avoir un trou dans les forêts,

Car je ne sais pas trop si je consentirais.

H.-H., 24 septembre 1872

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