Cela fait plusieurs années que je me retiens de publier mon avis éclairé sur le design, avatar de la modernité appliqué aux choses et objets qui nous entourent.
The Little Bob nous informe que le design c’est l’esthétique industrielle appliquée à la recherche de formes nouvelles et adaptées à leur fonction (pour les objets utilitaires, les meubles, l'habitat en général).
Qui pourrait penser que cette noble intention, qui consiste à associer benoîtement le meilleur du « beau » au meilleur du « pratique », déboucherait rapidement sur une entreprise perverse qui, in fine, ne changerait les choses que pour les rendre moins pratiques. Pourquoi ? Ben, coco, il faut faire du nouveau !
Dans un objet utilitaire, on peut considérer deux aspects : l’aspect pratique et l’aspect esthétique. Un couteau doit être le plus coupant possible et être adapté au produit qu’il doit couper, son manche doit être aussi adapté, etc. Une chaise doit posséder un minimum de confort et doit convenir à toutes les tailles de séants, être stable, hormis des cas particuliers. Une télécommande doit pouvoir s’utiliser d’une main et d’un seul doigt, si possible, à moins que l’on prenne un plaisir aussi malsain que suspect à tripoter ses touches.
Je résumerai l’intérêt de l’aspect esthétique par le dicton « des goûts et des couleurs ». Ce côté « esthétique » est éminemment subjectif, dépend du goût de chacun, des modes et de prétendues nouveautés imposées par des jobards que l’on baptise abusivement « créateurs ».
Cependant, ces deux aspects ne constituent pas des compartiments étanches. Le choix d’un angle droit ou d’un arrondi, d'une forme ou d'une autre, etc., dépend autant du pratique que de l’esthétique. Les alternatives « esthétiques » et « pratiques » sont intimement liées et quand on en touche une on fait bouger l’autre.
En fait, je suis trop gentil en les traitant de « créateurs » dans la mesure où l’objet qu’ils vont parfois s’acharner à dénaturer existe déjà. Le néologisme relookeur me semble plus adapté puisque les objets qu’ils vous présentent, sous couvert de nouveauté, existent pour la plupart depuis des millénaires.
Cette pérennité rend malade le designer : comment ces objets ont-ils pu exister avant lui et pourquoi vont-ils lui survivre ? Nous assistons à un combat personnel entre l’Homme et l’Objet. Ce dernier veut rester simple, modeste, offrir au genre humain sa praticité que tant d’anonymes non designers ont améliorée au fil des décennies voire des siècles.
Certes, le designer ne devrait exercer ses talents qu’en matière esthétique. Mais cela le chagrine profondément car il tourne rapidement en rond, et les goûts les couleurs, il en a vite fait le tour… Alors, il fourre son énorme groin dans les aspects pratiques de l’objet. Et comme les objets les plus répandus sont des produits quasiment « finis » au plan pratique, il ne peut qu’apporter destruction et désolation en dégradant systématiquement la praticité.
Insidieusement, les objets qui nous entourent deviennent de moins en moins pratiques à utiliser, à prendre dans sa main, à porter, à stabiliser. Cela fait des années que cette lente mais inexorable dégradation a commencé, recouverte de cette chape d’ignominie appelée design, d’autant plus perverse qu’il est convenu de l’accepter béatement et d’en statufier les représentants les plus médiatiques.
De manière aussi antidémocratique qu’unilatérale, j’ai décidé de créer une rubrique Inintelligent Design, en référence à l’Intelligent Design, dernier déguisement du créationnisme. L’univers n’a pas eu besoin de Dieu pour naître ; les objets n’on pas besoin de designer pour exister.
Michel Tournon
Bientôt sur vos écrans, le deuxième épisode dans lequel on apprendra que Philippe Stark est un faussaire.