Nous l’avons déjà écrit, les designers ne créent rien, et sous couvert de relookage ils détériorent un produit existant.
La modeste brosse à dents ignorait l’existence de Philippe Starck. Pourtant, il y a une vingtaine d’années, Fluocaril a demandé au petit génie de voir ce qu’il pouvait faire pour détériorer ce noble objet. Il s’agissait évidemment d’un travail de longue haleine. Comme d’habitude, pour mieux comprendre les transformations, comparons l’objet avant et après :
Il se fait que j’ai possédé cette brosse à dents* ; mon propos ne se limitera donc pas à une simple comparaison d’images.
Comme d’habitude, les changements voulus par le designer relèvent toujours de la même logique, celle qui consiste à faire l’inverse de ce qui existe ou simplement à choisir une option jamais retenue par simple bons sens, vis-à-vis de la praticité de l’objet.
- Une brosse à dents ordinaire possède un manche de section plutôt rectangulaire, pour être aisément maintenue par l’utilisateur au cours de brossage. La brosse à dents designée possède un manche de section ronde, rendant sa préemption aussi problématique qu’instable.
- L’extrémité d’une brosse à dents normale est plate ou légèrement arrondie pour ne pas agresser la main qui la tient. La brosse relookée a une extrémité pointue, d’autant plus inutile qu’elle vous pique la paume de la main.
- Le brossage terminé, on lave sa brosse que l’on met dans le gobelet, poils en l’air, afin qu’elle sèche. Le génie de Starck est d’avoir transformé sa brosse à dents en balai à chiottes : entre deux brossages, les poils macèrent dans un bouillon de culture dont la densité augmente avec la température de la pièce. Bonjour l’hygiène !
Je crois que cette transformation est un modèle de design : gagner plein de fric en transformant une pauvre brosse à dents en balai à chiottes (même pas pratique), c’est du grand art.
Quand je serai grand, je serai Philippe Starck et j'inventerai la fourchette à une seule dent (gain de place), le gant de toilette pour pieds (forme anatomique : un pour le gauche et un pour le droit), le tube dentifrice pour gaucher.
En fait, je suis certain que la plupart des designers puisent leur inspiration dans le livre (vraiment génial) de Carelman Catalogue d'objets introuvables**.
Ma note :
Cette dégradation mérite bien la note maximum !
Michel Tournon
*C’était un cadeau pervers d'un proche qui connaissait mon attrait pour le design.
** Éditions André Balland, 1969 ou livre de poche N°4037.