Un article récent de France-Soir souligne la confiance grandissante que les Français ont pour les « médicaments » homéopathiques : 36% sont des utilisateurs réguliers, 77 % font confiance à cette « thérapie ».
Et pourtant, toutes les études, en particulier la méta analyse de 2005 du journal The Lancet confirme que l’efficacité de ces granules est identique à celle de l’effet placebo. Effet qui existe également pour les médicaments conventionnels.
Ce qui est amusant avec l’homéopathie, c’est qu’à chaque fois qu’elle demande à être confrontée aux protocoles randomisés en double-aveugle, elle se prend une claque, ce qui n’altère pas sa popularité et donc l’usage irrationnel de cette poudre de perlimpin qui a permis aux laboratoires Boiron d’être l'une des plus grandes fortunes de France.
En outre une bonne partie des utilisateurs de granules se soignent sans médecin, ce qui va complètement à l’encontre des bases théoriques officielles qui affirment qu’une connaissance globale et personnelle du patient est indispensable pour établir une prescription strictement adaptée.
Et que penser de ceux qui affirment que l’homéopathie « marche » même avec les bébés et les animaux : j’aimerais assister en particulier à l’entretien entre un dindon et le médecin homéopathe censé cerner sa personnalité à fin de prescription. Le jour de Thanksgiving, ce doit être comique… Dans ce monde magique, on n’est pas à une incohérence près...
Pour tenter de trouver une explication à ces comportements irrationnels, je propose d’examiner la situation selon trois points de vue : celui du con sommateur, celui des médecins, celui des Pouvoirs publics.
Les deux ou trois décennies passées ont montré que lorsque l’homme est un apprenti sorcier, ses pires œuvres sont générées par « la Science ». En vrac : Tchernobyl, la Vache folle, l’hormone de croissance, Mediator, l’amiante, etc. furent les premiers pourvoyeurs des médecines dites douces.
Un gros zeste de mysticisme sur fond de fin du monde très proche, un soupçon de théories conspirationnistes colportées à l’échelle mondiale par l’Internet, le retour à une prétendue pureté originelle contribuent au discrédit systématique de tout ce qui touche de près ou de loin à la Science expérimentale et donc aux recherches médicales et pharmaceutiques.
Et comme il est de tradition de jeter le pépé avec l’eau du pain, la démarche scientifique, le raisonnement, la force de la preuve, le raisonnement hypothético déductif se retrouvent également aux orties. Obscurantisme is back, avec la religion qui saisit la perche au passage : ben oui, quand la croyance prévaut sur le raisonnement, le Bon Dieu montre toujours le bout de sa croix, comme le démontre le développement du créationnisme et du concordisme.
Le même "raisonnement" est toujours présent : si ça ne fait pas de bien, ça ne fait pas de mal. Ce genre d’adage est d’une crétinerie sans nom puisqu’il valide la démarche des charlatans et autres bonimenteurs dans le domaine de la santé. Ce sont les mêmes qui colportent des messages généreux sur le Net, alors qu’il s’agit de bobards et ne se donnent pas la peine de vérifier l’information : si ce n’est pas vrai, ce n’est pas grave. Pas grave, mon cul !
Donc, exit les études validées : je crois en la télé qui me dit que Oscillococcinum(1) combat les états grippaux (pas la grippe, hein : faut pas déconner…) et d’ailleurs est-ce que je présente un état grippal ou ai-je vraiment la grippe ? Et oui, j’en prends tous les hivers et je ne suis jamais malade, nananananère…
Ben moi qui vous écris, je n’ai jamais pris Oscillococcinum et je n'ai jamais d'états grippaux ou de grippe, particulièrement en hiver. J’affirme donc haut et fort que ma bonne santé vient du fait que je ne prends JAMAIS d’Oscillococcinum ! Mon raisonnement est aussi valide que l’autre qui ne se pose pas la question de savoir s’il serait resté en bonne santé SANS prendre d’ocillo… Là on commence à raisonner et les neurones du croyant sortent les gousses d’ail pour repousser le vampire raisonneur !
Les médecins ont une énorme responsabilité dans la croyance homéopathique. L’homéopathie n’est pas une spécialité médicale mais pharmaceutique, et il faut être un vrai médecin avec des morceaux de diplômes dedans pour s’en prévaloir. Pour payer leurs vacances aux Maldives, les médecins généralistes gravent de prétendues spécialités liées à des thérapies plus ou moins ésotériques ou bidons (30 % d’après Jean-Jacques Aulas(2)), sur le cuivre de leur plaque.
L’association médecin/patient est tributaire de l’offre et de la demande : un médecin non officiellement homéopathe ne refusera pas de prescrire des médicaments homéopathiques si on le lui demande poliment. Le patient français veut absolument sortir d’une consultation avec une ordonnance. Pourquoi ne pas prescrire du Viandox ?
Élément fondamental : l’Ordre des médecins est une institution vieillotte. Malgré tout, par entrisme, parmi ses membres, les médecins défendant l’homéopathie sont sur représentés(2) : il y a peu de chance que cette institution mette un jour les chose à plat en validant les nombreuses études attestant de l’inefficacité des petites granules.
On ne change pas une équipe qui gagne : les gogos sont satisfaits, les homéopathes également, les médecins « contre » ne veulent pas ouvrir une boîte de Pandore dans laquelle ils risquent de laisser des plumes et les sceptiques+++ tels ma pomme ne sont pas obligés d’adopter cette « thérapie ». Mais quel exemple pour les générations futures !
Pour les pouvoirs publics, le même raisonnement peut s’appliquer. De plus, la majorité des médecins votant à droite, faut pas trop les titiller. Et puis, les produits homéopathiques sont moins remboursés que les autres : le trou de la sécu les en remercie. Et n’oublions pas le lobby pharmaceutique de Boiron et Lehning : à moins d’être suicidaire, on imagine mal un ministre de la Santé annoncer la fin de la récréation homéopathique, en particulier des remboursements, comme récemment en Suisse(3). Bien au contraire, il s’est trouvé un ministre qui a jugé que ce type ne médicament ne devait pas faire la preuve de son efficacité pour être mis sur le marché, alors que cette condition est obligatoire pour tous les autres médicaments ! D'où vient cette négligence dans un monde administato-scientifique dont la vertu cardinale devrait être la rigueur ?
On n’a pas le cul sorti des ronces. Cette croyance qui balaie la raison est un signe de régression : c’est la porte ouverte à tous les charlatans et autres gourous qui ont bien compris que la crédulité associée à l’usage d’Internet était un formidable outil pour vendre de l’intox. Mais quand on croit, il n’y a pas de limite : j’attends avec impatience la vente de granules de Viagra 35 CH et le témoignage positif des gogos qui les auront utilisées(4). Si cela fonctionnait, la nouvelle serait raide...
Michel Tournon
(1) Pour tout connaître sur Oscillococcinum et se marrer un bon coup, se connecter ici
(2) De granules en aiguilles, Jean-Jacques Aulas, book-e-book.com
(3) voir ici
(4) En décembre 2008, au tout début d’une conférence, le célèbre magicien James Randi a avalé deux tubes de « somnifères » homéopathiques, soit 64 granules. Et bien évidemment, il ne s’est pas endormi et n’a pas fait d’overdose. Faut bien rigoler de la connerie humaine, non ? Voir ici.