À moins d’être un autiste vivant sur une île déserte au pléistocène, on aura remarqué la violence de la polémique opposant Michel Onfray au monde des psychanalystes, à propos de son dernier livre Le Crépuscule d’une idole1.
Dans cet ouvrage, Onfray assimile Freud et sa psychanalyse à une légende entretenue de son vivant et post mortem par ses thuriféraires : il rappelle tous les mensonges, fraudes et autres falsifications bien connus concernant les analyses exposés dans les ouvrages les plus réputés de Sigmund, affirme que le Maître prenait son cas pour une généralité en estimant comme universels ses propres fantasmes : il avait envie de troncher sa daronne et de dessouder son daron, donc c’est pareil la même chose pour toute l’humanité. En outre, il était attiré par le fascisme comme l’attestent certains documents évoqués par Onfray.
Comme on le voit, la barque est bien chargée et constitue une cible de choix pour les snippers du Divan : Onfray affirme que la psychanalyse est une religion et de fait, quand on s’attaque à un dieu, la riposte est toujours à la hauteur du blasphème ; contre l’hérétique, on va mettre les bûchers doubles.
Je n’ai pas lu ce livre et je pense que je ne le lirai pas sauf si on me le demande gentiment ou si on me l’offre. J’ai suivi attentivement la polémique au travers des diverses émissions télévisées dans lesquelles le philosophe du bocage normand se produisait, avec ou sans contradicteur, j’ai lu bon nombre d’articles concernant ses propos et ceux de ses contradicteurs dans différents journaux et magazines, et mon ami Google m’a donné de multiples liens pour compléter toutes ces informations. De plus, et surtout, j’avais lu en son temps (automne 2005) Le Livre noir de la psychanalyse2, dont une nouvelle édition actualisée vient de sortir.
Lors de la sortie de ce Livre noir, si le buzz médiatique avait été plus discret, les réactions avait été en revanche tout aussi violentes et dans les deux cas, on retrouve les mêmes accusations infondées de fascisme, d'antisémitisme, de pétainisme, d’idéologie d’extrême droite, sans évoquer les attaques ad hominem mettant en cause la santé mentale des auteurs : s’ils réfutent la psychanalyse et ses prétendus résultats positifs, c’est qu’ils sont malades des boyaux de la tête et qu’en conséquence, ils ont besoin d’une psychanalyse…
Cher lecteur, je suppose que tu n’as pas laissé ton esprit critique au vestiaire et que tu te dis qu’un système peut fonctionner sans que l’on arrive à expliquer pourquoi… Autrement dit, il suffirait de mesurer l’efficacité de la psychanalyse pour en valider l’approche théorique, à l’instar des études permettant de délivrer l’autorisation de mise sur le marché d’un nouveau médicament. Cette démarche on ne peut plus rationnelle a été faite il y a quelques années : M. Douste-Blazy, alors Ministre de la santé, avait commandé une enquête à l’INSERM4 pour évaluer l’efficacité des trois psychothérapies les plus répandues en France, dont , pour une très large part, la psychanalyse faisait partie. Et là, patatras, tout un monde s’écroule : les résultats obtenus par la psychanalyse furent si catastrophiques que, sous la pression des psychanalystes, les résultats de l’enquête qui figuraient sur le site du Ministère de la santé furent supprimés5 ! Les psys ont demandé la casse du thermomètre mais il l’avait quand même au bon endroit. Leur raison : « la souffrance ne se mesure pas ». On retrouve cette attitude dans la plupart des thérapies magiques quand il s’agit d’en évaluer l'efficacité qui s’avère être pile poil celle de l’effet placebo.
Alors, pourquoi tant de hainnnnne (il y en a quatre en trop) ? J’ai du mal à trouver un autre sujet de polémique impliquant tant de réactions aussi violentes qu’infondées, même lorsque je pense à la rivalité entre Mac et PC , aux Beatles vs Rolling Stone, voire au choix entre slip et caleçon.. Quelle est l’origine de ce torrent de bile concernant un sujet dont les arguments devraient se situer légitimement au plan des idées et non au niveau des querelles de harengères ?
Point n’est besoin de se pencher trop sur la question, au risque de perdre l’équilibre, pour en trouver les raisons : en France, la psychanalyse a commencé son déclin il y a quelques années et la parution des ouvrages sus-évoqués ne fait qu’en accélérer la chute. D’où ces réactions démesurées, d’où la présence de plus en plus fréquente des tenants du freudisme dans les médias. Par exemple, depuis quelques mois, dans différentes émissions de France Inter, on fait la promotion de la psychanalyse et de Freud : La Tête au carré, Deux mille ans d’Histoire, le 7 - 9 du week-end de l’inénarrable Stéphane Paoli, cireur de pompes officiel de la station. Plus près de toi, mon Dieu chantaient les naufragés du Titanic : même topo pour les psys, il n’y a que le dieu qui est différent.
Mettons nous à la place de tous ces professionnels de l’inconscient qui gagnent leur croûte, pour certains depuis plusieurs décennies, grâce à une théorie dont on démontre jour après jour, qu’elle est aussi solide qu’un château de fable… Le livre d’Onfray, le Livre noir, l’avancée des neurosciences3 sont les preuves que la psychanalyse est une thérapie irrationnelle, comparable à l’homéopathie, dont les résultats positifs sont dus à l’effet placebo. Et ses défenseurs correspondent pile poil à la définition du charlatan : une personne qui gagne du fric en proférant des mensonges. Qui aimerait cette situation ? D’abord, pour les plus sincères, tout un monde s’écroule, et en plus on les traite de voleur ! On évoque la double peine pour moins que ça… Je ne connais pas beaucoup de professionnels qui envisageraient un tel avenir sans réagir violemment, mais existe-t-il une profession comparable ? Pas à ma connaissance… Peut-être curé mais bon, c’est moins lucratif et la visite au confessionnal est gratuite. D’un autre côté, on côtoie les enfants de chœur, mais ce n’est pas le sujet.
Dégât collatéral prévisible : les personnes ayant été analysées montent au créneau, prétendant avoir été guéries. Personne, bien sûr, ne se pose la question de savoir si elles n’auraient pas été de toute façon guéries en l’absence de toute thérapie… Et puis franchement, se rendre compte que l’on a dépensé du fric pour des clopinettes, personne n’aime ça ! Cette remarque vaut aussi pour ceux qui n’ont pas été guéris décubitus sur le divan, bien qu’ils aient craché en liquide au bassinet : là aussi double peine puisqu’en plus d’avoir perdu leur fric, ils passeraient pour des gogos en racontant leur mésaventure.
Au final, cette réaction violente est normale : elle équivaut au « on m’aurait menti » du pauvre Virenque sauf que le patient du psychanalyste pédale dans le yaourt. C’est le cri de détresse d’une corporation qui est appelée à disparaître petit à petit. Et franchement, si on était à leur place, je crois qu’Onfray tous pareil.
Michel Tournon
1 Le Crépuscule d’une idole L’affabulation freudienne, Grasset, 22 euros.
2 Le Livre noir de la psychanalyse, éditions Les Arènes, 22 euros. Pour une description rapide de l’ouvrage, on peut se connecter ici.
3 L’étiologie de l’autisme en est l’exemple le plus fameux : le gourou Bettelheim est passé aux oubliettes et les psys qui s’en revendiquaient ont oublié jusqu’à son existence.
4 INSERM : Institut national de la Santé et de la recherche Médicale.
5 Voir par exemple ce site ou celui-ci.