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12 février 2006 7 12 /02 /février /2006 04:12

Voici la première partie d'un long poème que Victor Hugo écrivit du 11 au 17
février 1821 :

+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+

ODES ET BALLADES

ODE QUATRIEME

QUIBERON

- I -

Par ses propres fureurs le Maudit se dévoile ;
Dans le démon vainqueur on voit l'ange proscrit ;
L'anathème éternel qui poursuit son étoiLe,
Dans ses succès même est écrit.
Il est, lorsque des cieux nous oublions la voie
Des jours, que Dieu sans doute envoie
Pour nous rappeler les enfers ;
Jours sanglants qui, voués au triomphe du crime,
Comme d'affreux rayons échappés de l'abîme,
Apparaissent sur l'univers.

Poëtes qui toujours, loin du siècle où nous sommes,
Chantres des pleurs sans fin et des maux mérités,
Cherchez des attentats tels que la voix des hommes
N'en ait point encor racontés,
Si quelqu'un vient à vous vantant la jeune France,
Nos exploits, notre tolérance,
Et nos temps féconds en bienfaits,
Soyez contents ; lisez nos récentes histoires,
Evoquez nos vertus, interrogez nos gloires :
Vous pourrez choisir des forfaits ;

Moi, je n'ai point reçu de la Muse funèbre
Votre lyre de bronze, ô chantres des remords !
Mais je voudrais flétrir les bourreaux qu'on célèbre,
Et venger la cause des morts.
Je voudrais, un moment, troublant l'impur Génie,
Arrêter sa gloire impunie
Qu'on pousse à l'immortalité ;
Comme autrefois un grec, malgré les vents rapides,
Seul, retint de ses bras, de ses dents intrépides,
L'esquif sur les mers emporté !

( à suivre )

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11 février 2006 6 11 /02 /février /2006 14:59

Voici la fin (3ème partie) de ce très long poème que Victor Hugo écrivit du 7
au 11 février 1837 :
Pour lire la première partie de ce poème :
http://sororimmonde.over-blog.com/article-1807199.html
Pour lire la deuxième partie de ce poème :
http://sororimmonde.over-blog.com/article-1826851.html

+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.

LES VOIX INTERIEURES

V - DIEU EST TOUJOURS LA

( suite et fin )

...

- III -

Oh ! que l'été brille ou s'éteigne,
Pauvres, ne désespérez pas !
Le Dieu qui souffrit et qui règne
A mis ses pieds où sont vos pas !

Pour vous couvrir il se dépouille !
Bon même pour l'homme fatal
Qui, comme l'airain dans la rouille,
Va s'endurcissant dans le mal !

Tendre, même en buvant l'absinthe,
Pour l'impie au regard obscur
Qui l'insulte sans plus de crainte
Q'un passant qui raye un vieux mur !

Ils ont beau traîner sur les claies
Ce Dieu mort dans leur abandon ;
Ils ne font couler de ses plaies
Qu'un intarissable pardon !

Il n'est pas l'aigle altier qui vole,
Ni le grand lion ravisseur ;
Il compose son auréole
D'une lumineuse douceur !

Quand sur nous une chaîne tombe,
Il la brise anneau par anneau.
Pour l'esprit il se fait colombe,
Pour le coeur il se fait agneau.

Vous pour qui la vie est mauvaise,
Espérez ! il veille sur vous !
Il sait bien que cela pèse,
Lui qui tomba sur ses genoux !

Il est le Dieu de l'évangile ;
Il tient votre coeur dans sa main,
Et c'est une chose fragile
Qu'il ne veut pas briser, enfin !

Lorsqu'il est temps que l'été meure
Sous l'hiver sombre et solennel,
Même à travers le ciel qui pleure
On voit son sourire éternel !

Car sur les familles souffrantes,
L'hiver, l'été, la nuit, le jour,
Avec ses urnes différentes
Dieu verse à grands flots son amour !

Et dans ses bontés éternelles
Il penche sur l'humanité
Ces mères aux triples mamelles,
La nature et la charité.

Victor Hugo - 7 - 11 février 1837

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10 février 2006 5 10 /02 /février /2006 00:00

Victor Hugo datait souvent ses poèmes. Il en a écrit tellement qu'on en trouve à toutes les dates de l'année :

LA LEGENDE DES SIECLES

XXXVI - LE GROUPE DES IDYLLES

XVIII - VOLTAIRE


Dans la religion voir une bucolique,
Etre asseZ huguenot pour être catholique,
Aimer Clorinde assez pour caresser Suzon,
Suivre un peu la sagesse et beaucoup la raison,
Planter là ses amis, mais ne pas les proscrire,
Croire aux dogmes tout juste assez pour en sourire,
Etre homme comme un diable, abbé comme Chaulieu,
Ne rien exagérer, pas même le bon Dieu,
Baiser le saint chausson qu'offre à la gent dévote
Le pape, et préférer le pied nu de Javotte,
Tels sont les vrais instincts d'un sage en bon état.
Force tentations, et jamais d'attentat ;
Avoir on ne sait quoi d'aimable dans la faute ;
Ressembler à ce bon petit chevreau qui saute
Joyeux, libre, et qui broute, et boit aux étangs verts,
Si content qu'il en met l'oreille de travers ;
Donner son coeur au ciel si Goton vous le laisse,
Commettre des péchés pour aller à confesse,
Car les péchés sont gais, et font avec douceur
Aux frais du confessé vivre le confesseur ;
Pas trop de passion, pas trop d'apostasie,
C'est le bon sens. Suivez cette route choisie
Et sûre. C'est ainsi qu'on vieillit sans effroi ;
Et c'est ainsi qu'on a de l'esprit, fût-on roi,
Et qu'on est Henri quatre, et qu'on a ses entrées
A la grand' messe, et chez Gabrielle d'Estrées.


Victor Hugo - 10 février 1877

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9 février 2006 4 09 /02 /février /2006 09:48

Victor Hugo datait souvent ses poèmes. Il en a écrit tellement qu'on en trouve à toutes les dates de l'année :

Voici la suite (2ème partie) de ce très long poème que Victor Hugo écrivit du
7 au 11 février 1837 :
Pour lire la première partie de ce poème : http://sororimmonde.over-blog.com/article-1807199.html

LES VOIX INTERIEURES

V - DIEU EST TOUJOURS LA


( suite )

...

- II -

Mais, hélas ! juillet fait sa gerbe ;
L'été, lentement effacé,
Tombe feuille à feuille dans l'herbe
Et jour à jour dans le passé.

Puis octobre perd sa dorure ;
Et les bois dans les lointains bleus
Couvrent de leur rousse fourrure
L'épaule des coteaux frileux.

L'hiver des nuages sans nombre
Sort, et chasse l'été du ciel,
Pareil au temps ce faucheur sombre
Qui suit le semeur éternel !

Le pauvre alors s'effraye et prie.
L'hiver, hélas, c'est Dieu qui dort ;
C'est la faim livide et maigrie
Qui tremble auprès du foyer mort !

Il croit voir une main de marbre
Qui, mutilant le jour obscur,
Retire tous les fruits de l'arbre
Et tous les rayons de l'azur.

Il pleure, la nature est morte !
O rude hiver ! ô dure loi !
Soudain un ange ouvre sa porte
Et dit en souriant : C'est moi !

Cet ange qui donne et qui tremble,
C'est l'aumône aux yeux de douceur,
Au front crédule et qui ressemble,
A la foi, dont elle est la soeur !

<< Je suis la Charité, l'amie
Qui se réveille avant le jour,
Quand la nature est rendormie,
Et que Dieu m'a dit : A ton tour !

>> Je viens visiter ta chaumière
Veuve de l'été si charmant.
Je suis fille de la prière.
J'ai des mains qu'on ouvre aisément.

>> J'accours ! car la saison est dure.
J'accours, car l'indigent a froid.
J'accours, car la tiède verdure
Ne fait plus d'ombre sur le toit !

>> Je prie, et jamais je n'ordonne.
Chère à tout homme quel qu'il soit,
Je laisse la joie à qui donne,
Et je l'apporte à qui reçoit. >>

O figure auguste et modeste,
Où le seigneur mêla pour nous
Ce que l'ange a de plus céleste,
Et que la femme a de plus doux !

Au lit du vieillard solitaire
Elle penche un front gracieux,
Et rien n'est plus beau sur la terre,
Et rien n'est plus grand sous les cieux

Lorsque, réchauffant leurs poitrines
Entre ses genoux triomphants,
Elle tient dans ses mains divines
Les pieds nus des petits enfants !

Elle va dans chaque masure,
Laissant au pauvre réjoui
Le vin, le pain frais, l'huile pure,
Et le courage épanoui !

Et le feu ! le beau feu folâtre,
A la pourpre ardente pareil,
Qui fait qu'amené devant l'âtre
L'aveugle croit rire au soleil !

Puis elle cherche au coin des bornes,
Transi par la froide vapeur,
Ces enfants qu'on voit nus et mornes
Et mourant avec stupeur.

Oh ! voilà surtout ceux qu'elle aime !
Faibles fronts dans l'ombre engloutis,
Parés d'un triple diadème,
Innocents, pauvres et petits !

Ils sont meilleurs que nous ne sommes !
Elle leur donne, en même temps,
Avec le pain qu'il faut aux hommes,
Le baiser qu'il faut aux enfants !

Tandis que leur faim secourue
Mange ce pain de pleurs noyé,
Elle étend sur eux dans la rue
Son bras des passants coudoyé.

Et si, le front dans la lumière,
Un riche passe en ce moment,
Par le bord de sa robe altière
Elle le tire doucement !

Puis pour eux elle prie encore
La grande foule au coeur étroit,
La foule qui, dès qu'on l'implore,
S'en va comme l'eau qui décroît.

<< Oh ! malheureux celui qui chante
Un chant joyeux, peut-être impur,
Pendant que la bise méchante
Mord un pauvre enfant sous son mur !

>> Oh ! la chose triste et fatale,
Lorque chez le riche hautain
Un grand feu tremble dans la salle,
Reflété par un grand festin,

>> De voir, quand l'orgie enrouée
Dans la pourpre s'égaye et rit,
A peine une toile trouée
Sur les membres de Jésus-Christ !

>> Oh ! donnez-moi pour que je donne !
J'ai des oiseaux nus dans mon nid.
Donnez, méchants, Dieu vous pardonne !
Donnez, ô bons, Dieu vous bénit !

>> Heureux ceux que mon zèle enflamme !
Qui donne aux pauvres prête à Dieu !
Le bien qu'on fait parfume l'âme ;
On s'en souvient toujours un peu !

>> Le soir, au seuil de sa demeure,
Heureux celui qui sait encor
Ramasser un enfant qui pleure,
Comme un avare un sequin d'or !

>> Le vrai trésor rempli de charmes,
C'est un groupe pour vous priant
D'enfants qu'on a trouvé en larmes
Et qu'on a laissés souriant !

>> Les biens que je donne à qui m'aime,
Jamais Dieu ne les retira.
L'or que sur le pauvre je sème
Pour le riche au ciel germera ! >>

( à suivre )

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8 février 2006 3 08 /02 /février /2006 00:49

Victor Hugo datait souvent ses poèmes. Il en a écrit tellement qu'on en trouve à toutes les dates de l'année :

TOUTE LA LYRE - VII

- XII -


A l'âge des bergeries,
Quand les lèvres sont fleuries,
Nous errions loin des prairies,
Lise et moi, dans le hallier ;
Lise, au vent livrant sa tresse,
Moi tremblant d'une caresse ;
La maîtresse ;
L'écolier.

Voyant la nuit prête à naître,
J'osai ne plus me connaître,
Je pris un baiser peut-être ;
Un vieux frêne soupira ;
La république des bêtes
Chantait, moineaux et fauvettes,
Sur nos têtes,
ça ira !

Le soir répandait ses brumes.
Doux amour, tu nous consumes !
Tout à coup nous aperçûmes
(Etait-ce un bouc ? je le crois)
Dans la sauge et la joubarbe,
O conteur du roi de Garbe !
Une barbe
Dans le bois !

Moi qui connais mon Tityre
Et qu'Horace aux champs attire,
Je criai : C'est un satyre !
Lise dit : C'est un sapeur !
Sans plus nous en rendre compte,
Nous fuîmes, elle moins prompte ;
Elle eut honte,
Et j'eus peur.

L'âpre forêt taciturne
A dans son ombre nocturne
Tous les fantômes, Saturne,
Faune, Irmensul, Urian ;
D'une vague horreur couverte,
La grande Dryade verte
Déconcerte
Florian.


Victor - Hugo - 8 février 1855

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7 février 2006 2 07 /02 /février /2006 09:25

Victor Hugo datait souvent ses poèmes. Il en a écrit tellement qu'on en trouve à toutes les dates de l'année :

Voici la première partie d'un très long poème que Victor Hugo a écrit entre
le 7 et le 11 février 1837 :

+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.

LES VOIX INTERIEURES

V - DIEU EST TOUJOURS LA

- I -


Quand l'été vient, le pauvre adore !
L'été, c'est la saison de feu,
C'est l'air tiède et la fraîche aurore ;
L'été, c'est le regard de Dieu.

L'été, la nuit bleue et profonde
S'accouple au jour limpide et clair ;
Le soir est d'or, la plaine est blonde ;
On entend des chansons dans l'air.

L'été, la nature éveillée
Partout se répand en tous sens
Sur l'arbre en épaisse feuillée,
Sur l'homme en bienfaits caressants.

Tout ombrage alors semble dire :
Voyageur, viens te reposer !
Elle met dans l'aube un sourire,
Elle met dans l'onde un baiser.

Elle cache et recouvre d'ombre,
Loin du monde sourd et moqueur,
Une lyre dans le bois sombre,
Une oreille dans notre coeur !

Elle donne vie et pensée
Aux pauvres de l'hiver sauvés,
Du soleil à pleine croisée,
Et le ciel pur dit : Vivez !

Sur les chaumières dédaignées
Par les maîtres et les valets,
Joyeuse, elle jette à poignées
Les fleurs qu'elle vend aux palais !

Son luxe aux pauvres seuils s'étale.
Ni les parfums ni les rayons
N'ont peur, dans leur candeur royale,
De se salir à des haillons.

Sur un toit où l'herbe frissonne
Le jasmin peut bien se poser.
Le lys ne méprise personne,
Lui qui pourrait tout mépriser !

Alors la masure où la mousse
Sur l'humble chaume a débordé
Montre avec une fierté douce
Son vieux mur de roses brodé.

L'aube alors de clarté baignée,
Entrant dans le réduit profond,
Dore la toile d'araignée
Entre les poutres du plafond.

Alors l'âme du pauvre est pleine.
Humble, il bénit ce Dieu lointain
Dont il sent la céleste haleine
Dans tous les souffles du matin !

L'air le réchauffe et le pénètre.
Il fête le printemps vainqueur.
Un oiseau chante à sa fenêtre,
La gaîté chante dans son coeur !

Alors, si l'orphelin s'éveille,
Sans toit, sans mère, et priant Dieu,
Une voix lui dit à l'oreille :
<< Eh bien ! viens sous mon dôme bleu !

>> Le Louvre est égal aux chaumières
Sous ma coupole de saphirs.
Viens sous mon ciel plein de lumières,
Viens sous mon ciel plein de zéphyrs !

>> J'ai connu ton père et ta mère
Dans leurs bons et leurs mauvais jours ;
Pour eux la vie était amère,
Mais moi je fus douce toujours !

>> C'est moi qui sur leur sépulture
Ai mis l'herbe qui la défend.
Viens, je suis la grande nature !
Je suis l'aïeule, et toi l'enfant !

>> Viens, j'ai des fruits d'or, j'ai des roses,
J'en remplirai tes petits bras ;
Je te dirai de douces choses,
Et peut-être tu souriras !

>> Car je voudrais te voir sourire,
Pauvre enfant si triste et si beau !
Et puis tout bas j'irai le dire
A ta mère dans son tombeau ! >>

Et l'enfant, à cette voix tendre,
De la vie oubliant le poids,
Rêve et se hâte de descendre
Le long des coteaux dans les bois.

Là, du plaisir tout a la forme ;
L'arbre a des fruits, l'herbe a des fleurs ;
Il entend dans le chêne énorme
Rire les oiseaux querelleurs.

Dans l'onde il mire son visage ;
Tout lui parle ; adieu son ennui !
Le buisson l'arrête au passage,
Et le caillou joue avec lui.

Le soir, point d'hôtesse cruelle
Qui l'accueille d'un front hagard !
Il trouve l'étoile si belle
Qu'il s'endort à son doux regard !

- Oh ! qu'en dormant rien ne t'oppresse !
Dieu sera là pour ton réveil ! -
La lune vient qui le caresse
Plus doucement que le soleil !

Car elle a de plus molles trêves
Pour nos travaux et nos douleurs.
Elle fait éclore les rêves,
Lui ne fait naître que les fleurs !

Oh ! quand la fauvette dérobe
Son nid sous les rameaux penchants,
Lorsqu'au soleil séchant sa robe
Mai tout mouillé rit dans les champs,

J'ai souvent pensé dans mes veilles
Quand la nature au front sacré
Dédiait tout bas ses merveilles
A ceux qui l'hiver ont pleuré.

Pour tous et pour le méchant même
Elle est bonne, Dieu le permet,
Dieu le veut, mais surtout elle aime
Le pauvre que Jésus aimait !

Toujours sereine et pacifique,
Elle offre à l'auguste indigent
Des dons de reine magnifique,
Des soins d'esclave intelligent !

A-t-il faim ? au fruit de la branche
Elle dit : - Tombe, ô fruit vermeil !
A-t-il soif ? - Que l'onde s'épanche !
A-t-il froid ? - Lève-toi, soleil !


(à suivre)

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6 février 2006 1 06 /02 /février /2006 04:40

Victor Hugo datait souvent ses poèmes. Il en a écrit tellement qu'on en trouve à toutes les dates de l'année :

LA LEGENDE DES SIECLES

XXXVI - LE GROUPE DES IDYLLES

III - ARCHILOQUE


Le pilote connaît la figure secrète
Du fond de la mer sombre entre Zante et la Crête,
Le sage médecin connaît le mal qu'on a,
Le luthier, par la muse instruit, sait qu'Athèna
A fait la flûte droite et Pan la flûte oblique ;
Moi, je ne sais qu'aimer. Tout ce qu'un mage explique
En regardant un astre à travers des cyprès,
Dans les bois d'Eleusis la nuit, n'est rien auprès
De ce que je devine en regardant Stellyre.
Stellyre est belle. Ayez pitié de mon délire,
Dieux immortels ! je suis en proie à sa beauté.
Sans elle je serais l'Archiloque irrité,
Mais elle m'attendrit. Muses, Stellyre est douce.
Pour que l'agneau la broute il faut que l'herbe pousse,
Et que l'adolescent croisse pour être aimé.
Par l'immense Vénus le monde est parfumé ;
L'amour fait pardonner à l'Olympe la foudre ;
L'Océan en créant Cypris voulut s'absoudre,
Et l'homme adore, au bord du gouffre horrible et vain,
La tempête achevée en sourire divin.
Stellyre a la gaîté du nid chantant dans l'arbre.
Moi qui suis de Paros, je me connais en marbre,
Elle est blanche, et pourtant femme comme Aglaura
Et Glycère ; et, rêveur, je sais qu'elle mourra.
Tout finit par finir, hélas, même les roses !
Quoique Stellyre, ô dieux, ressemble aux fleurs écloses
A l'aurore, en avril, dans les joncs des étangs,
Faites, dieux immortels, qu'elle vive longtemps,
Car il sort de cette âme une clarté sereine.
Je la veux pour esclave et je la veux pour reine ;
Je suis un coeur dompté par elle, et qui consent ;
Et ma haine est changée en amour. O passant,
Sache que la chanson que voici fut écrite
Quand Hipparque chassa d'Athène Onomacrite
Parce qu'il parlait bas à des dieux infernaux
Pour faire submerger l'archipel de Lemnos.


Victor Hugo - 6 février 1877

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5 février 2006 7 05 /02 /février /2006 11:19

Victor Hugo datait souvent ses poèmes. Il en a écrit tellement qu'on en trouve à toutes les dates de l'année :

Voici un très long poème de Victor Hugo ; il porte la date du 5 février
1853... pensez-vous qu'il l'ait écrit d'une traite, et tout le même jour ?

+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.

LES CHÂTIMENTS

LIVRE SIXIEME - LA STABILITE EST ASSUREE

XIII - A JUVENAL


Retournons à l'école, ô mon vieux Juvénal.
Homme d'ivoire et d'or, descends du tribunal
Où depuis deux mille ans tes vers superbes tonnent.
Il paraît, vois-tu bien, ces choses nous étonnent,
Mais c'est la vérité selon monsieur Riancey,
Que lorsqu'un peu de temps sur le sang a passé,
Quoi qu'en disent les morts avec leur bouche verte,
Monsieur Veuillot, qui tient d'Ignace et d'Auriol,
Nous l'affirme, quand l'heure a tourné sur l'horloge,
De notre entendement ceci fait peu l'éloge,
Pourvu qu'à Notre-Dame on brûle de l'encens
Et que l'abonné vienne aux journaux bien pensants,
Il paraît que, sortant de son hideux suaire,
Joyeux, en panthéon changeant son ossuaire,
Dans l'opération par monsieur Fould aidé,
Par les jupes lavé, par les filles fardé,
O miracle ! entouré de croyants et d'apôtres,
En dépit des rêveurs, en dépit de nous autres
Noirs poëtes bourrus qui n'y comprenons rien,
Le mal prend tout à coup la figure du bien.

- II -

Il est l'appui de l'ordre ; il est bon catholique ;
Il signe hardiment : prospérité publique.
La trahison s'habille en général français ;
L'archevêque ébloui bénit le dieu Succès ;
C'était crime jeudi, mais c'est haut fait dimanche.
Du pourpoint Probité l'on retourne la manche.
Tout est dit. La vertu tombe dans l'arriéré.
L'honneur est un vieux fou dans sa cave muré.
O grand penseur de bronze, en nos dures cervelles
Faisons entrer un peu ces morales nouvelles,
Lorsque sur la Grand'Combe ou sur le blanc de zinc
On a revendu vingt ce qu'on payé cinq.
Sache qu'un guet-apens par où nous triomphâmes
Est juste, honnête et bon.Tout au rebours des femmes,
Sache qu'en vieillissant le crime devient beau.
Il plane cygne après s'être envolé corbeau.
Oui, tout cadavre utile exhale une odeur d'ambre.
Que vient-on nous parler d'un crime de décembre
Quand nous sommes en juin ! l'herbe a poussé dessus.
Toute la question la voici : fils, tissus,
Cotons et sucres bruts prospèrent ; le temps passe.
La parjure difforme et la trahison basse
En avançant en âge ont la propriété
De perdre leur bassesse et leur difformité ;
Et l'assassinat louche et tout souillé de fange
Change son front de spectre en un visage d'ange.

- III -

Et comme en même temps, dans ce travail normal,
La vertu devient faute et le bien devient mal,
Apprends que, quand Saturne a soufflé sur leur rôle,
Néron est un sauveur et Spartacus un drôle.
La raison obstinée a beau faire du bruit ;
La justice, ombre pâle, a beau dans notre nuit,
Murmurer comme un souffle à toutes les oreilles ;
On laisse dans leur coin bougonner ces deux vieilles.
Narcisse gazetier lapide Scévola.
Accoutumons nos yeux à ces lumières-là
Qui font qu'on aperçoit tous sous un nouvel angle,
Et qu'on voit Malesherbe en regardant Delangle.
Sachons dire : Leboeuf est grand, Persil est beau ;
Et laissons la pudeur au fond du lavabo.

- IV -

Le bon, le sûr, le vrai, c'est l'or dans notre caisse.
L'homme est extravagant qui, lorsque tout s'affaisse,
Proteste seul debout dans une nation,
Et porte à bras tendu son indignation.
Que diable ! il faut pourtant vivre de l'air des rues,
Et ne pas s'entêter aux choses disparues,
Quoi ! tout meurt ici-bas, l'aigle comme le ver,
Le charançon périt sous la neige l'hiver,
Quoi ! le Pont-Neuf fléchit lorsque les eaux sont grosses,
Quoi ! mon coude est troué, quoi ! je perce mes chausses,
Quoi ! mon feutre était neuf et s'est usé depuis,
Et la vérité, maître, aurait, dans un vieux puits,
Cette prétention rare d'être éternelle !
De ne pas se mouiller quand il pleut, d'être belle
A jamais, d'être reine en n'ayant pas le sou,
Et de ne pas mourir quand on lui tord le cou !
Allons donc ! Citoyens, c'est au fait qu'il faut croire !

- V -

Sur ce, les charlatans prêchent leur auditoire
D'idiots, de mouchards, de grecs, de philistins,
Et de gens plein d'esprit détroussant les crétins ;
La Bourse rit ; la hausse offre aux badauds ses prismes ;
La douce hypocrisie éclate en aphorismes ;
C'est bien, nous gagnons gros et nous sommes contents ;
Et ce sont, Juvénal, les maximes du temps.
Quelque sous-diacre, éclos dans je ne sais quel bouge,
Trouva ces vérités en balayant Montrouge,
Si bien qu'aujourd'hui fiers et rois des temps nouveaux,
Messieurs les aigrefins et messieurs les dévôts
Déclarent, s'éclairant aux lueurs de leur cierge,
Jeanne d'Arc courtisane et Messaline vierge.

Voilà ce que curés, évêques, talapoins,
Au nom de Dieu vivant, démontrent en trois points,
Et ce que le filou qui fouille dans ma poche
Prouve par A plus B, par Argout plus Baroche.

- VI -

Maître ! voilà-t-il pas de quoi vous indigner ?
A quoi bon s'exlamer ? à quoi bon trépigner ?
Nous avons l'habitude, en songeurs que nous sommes,
De contempler les nains bien moins que les grands hommes ;
Même toi satirique, et moi tribun amer,
Nous regardons en haut, le bourgeois dit : en l'air ;
C'est notre infirmité. Nous fuyons la rencontre
Des sots et des méchants. Quand le Dombidau montre
Son crâne et que le Fould avance son menton,
J'aime mieux Jacques Coeur, tu préfères Caton ;
La gloire des héros, des sages que Dieu crée,
Et notre vision éternelle et sacrée ;
Eblouis, l'oeil noyé des clartés de l'azur,
Nous passons notre vie à voir dans l'éther pur
Resplendir les géants, penseurs ou capitaines ;
Nous regardons, au bruit des fanfares lointaines,
Au-dessus de ce monde où l'ombre règne encor,
Mêlant dans les rayons leurs vagues poitrails d'or,
Une foule de chars voler dans les nuées.
Aussi l'essain des gueux et des prostituées,
Quand il se heurte à nous, blesse nos yeux pensifs.

Soit, mais réfléchissons. Soyons moins exclusifs.
Je hais les coeurs abjects, et toi, tu t'en défies ;
Mais laissons-les en paix dans leurs philosophies.

- VII -

Et puis, même en dehors de tout ceci, vraiment,
Peut-on blâmer l'instinct et le tempérament ?
Ne doit-on pas se faire aux natures des êtres ?
La fange a ses amants et l'ordure a ses prêtres ;
De la cité bourbier le vice est citoyen ;
Où l'un se trouve mal, l'autre se trouve bien ;
J'en atteste Minos et j'en fais juge Eaque,
Le paradis du porc, n'est-ce pas le cloaque ?
Voyons, en quoi, réponds, génie âpre et subtil,
Cela nous touche-t-il et nous regarde-t-il,
Quand l'homme du serment dans le meurtre patauge,
Quand monsieur Beauharnais fait du pouvoir une auge,
Si quelque évêque arrive et chante alleluia,
Si Saint-Arnaud bénit la main qui le paya,
Si tel ou tel bourgeois le célèbre et le loue,
S'il est des estomacs qui digèrent la boue ?
Quoi ! quand la France tremble au vent des trahisons,
Stupéfaits et naïfs, nous nous ébahissons
Si Parieu vient manger des glands sous ce grand chêne !
Nous trouvons surprenant que l'eau coule à la Seine,
Nous trouvons merveilleux que Troplong soit Scapin,
Nous trouvons inouï que Dupin soit Dupin !

- VIII -

Un vieux penchant humain mène à la turpitude.
L'opprobre est un logis, un centre, une habitude,
Un toit, un oreiller, un lit tiède et charmant,
Un bon manteau bien ample où l'on est chaudement.
L'opprobre est le milieu respirable aux immondes.
Quoi ! nous nous étonnons d'ouïr dans les deux mondes
Les dupes faisant choeur avec les chenapans,
Les gredins, les niais vanter ce guet-apens !
Mais ce sont là les lois de la mère nature.
C'est de l'antique instinct l'éternelle aventure.
Par le point qui séduit ses appétits flattés
Chaque bête se plaît aux monstruosités.
Quoi ! ce crime est hideux ! quoi ! ce crime est stupide !
N'est-il plus d'animaux pour l'admirer ? Le vide
S'est-il fait ? N'est-il plus d'êtres vils et rampants ?
N'est-il plus de chacals ? N'est-il plus de serpents ?
Quoi ! les baudets ont-ils pris tout à coup des ailes,
Et se sont-ils enfuis aux voûtes éternelles ?
De la création l'âne a-t-il disparu ?
Quand Cyrus, Annibal, César, montaient à cru
Cet effrayant cheval qu'on appelle la gloire,
Quand, ailés, effarés de joie et de victoire,
Ils passaient flamboyants au fond des cieux vermeils,
Les aigles leur criaient : vous êtes nos pareils !
Les aigles leur criaient : vous portez le tonnerre !
Aujourd'hui les hiboux acclament Lacernaire.
Eh bien ! je trouve bon que cela soit ainsi.
J'applaudis les hiboux et je leur dis : merci.
La sottise se mêle à ce concert sinistre,
Tant mieux. Dans sa gazette, ô Juvénal, tel cuistre
Déclare, avec messieurs d'Arras et de Beauvais,
Mandrin très bon, et dit l'honnête homme mauvais,
Foule aux pieds les héros et vante les infâmes,
C'est tout simple ; et, vraiment, nous serions bonnes âmes
De nous émerveiller lorsque nous entendons
Les Veuillots aux lauriers préférer les chardons !

- IX -

Donc laissons aboyer la conscience humaine
Comme un chien qui s'agite et qui tire sa chaîne.
Guerre aux justes proscrits ! gloire aux coquins fêtés !
Et faisons bonne mine à ces réalités.
Acceptons cet empire unique et véritable.
Saluons sans broncher Trestaillon connétable,
Mingrat grand aumônier, Bosco grand électeur ;
Et ne nous fâchons pas s'il advient qu'un rhéteur,
Un homme du sénat, un homme du conclave,
Un eunuque, un cagot, un sophiste, un esclave,
Esprit sauteur prenant la phrase pour tremplin,
Après avoir chanté César de grandeur plein,
Et ses perfections et ses mansuétudes,
Insulte les bannis jetés aux solitudes,
Ces brigands qu'a vaincus Tibère Amphitryon.
Vois-tu, c'est un talent de plus dans l'histrion ;
C'est de l'art de flatter le plus exquis peut-être ;
On chatouille moins bien Henri huit, le bon maître,
En louant Henri huit qu'en déchirant Morus.
Les dictateurs d'esprit, bourrés d'éloges crus,
Sont friands, dans leur gloire et dans leurs arrogances,
De ces raffinements et de ces élégances.
Poëte, c'est ainsi que les despotes sont.
Le pouvoir, les honneurs sont plus doux quand ils ont
Sur l'échafaud du juste une fenêtre ouverte.
Les exilés, pleurant près de la mer déserte,
Les sages torturés, les martyrs expirants
Sont l'assaisonnement du bonheur des tyrans.
Juvénal, Juvénal, mon vieux lion classique,
Notre vin de Champagne et ton vin de Massique,
Les festins, les palais, et le luxe effréné,
L'adhésion du prêtre et l'amour de Phryné,
Les triomphes, l'orgueil, les respects, les caresses,
Toutes les voluptés et toutes les ivresses
Dont s'abreuvait Séjan, dont se gorgeait Rufin,
Sont meilleures à boire, ont un goût bien plus fin,
Si l'on n'est pas un sot à cervelle exiguë,
Dans la coupe où Socrate hier but la ciguë !


Victor Hugo - 5 février 1853

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4 février 2006 6 04 /02 /février /2006 02:35

Victor Hugo datait souvent ses poèmes. Il en a écrit tellement qu'on en trouve à toutes les dates de l'année :

LES CHÂTIMENTS

LIVRE TROISIEME - LA FAMILLE EST RESTAUREE

- XIII -


L'histoire a pour égout des temps comme les nôtres,
Et c'est là que la table et mise pour vous autres.
C'est là, sur cette nappe où joyeux vous mangez,
Qu'on voit, - tandis qu'ailleurs, nus et de fers chargés,
Agonisent, sereins, calmes, le front sévère,
Socrate à l'agora, Jésus-Christ au calvaire,
Colomb dans son cachot, Jean Huss sur son bûcher,
Et que l'humanité pleure et n'ose approcher
Tous ces gibets où sont les justes et les sages, -
C'est là qu'on voit trôner dans la longueur des âges,
Parmi les vins, les luths, les viandes, les flambeaux,
Sur des coussins de pourpre oubliant les tombeaux,
Ouvrant et refermant leurs féroces mâchoires,
Ivres, heureux, affreux, la tête dans des gloires,
Tout le troupeau hideux des satrapes dorés ;
C'est là qu'on entend rire et chanter, entourés
De femmes couronnant de fleurs leurs turpitudes,
Dans leur lascivité prenant mille attitudes,
Laissant peuples et chiens en bas ronger les os,
Tous les hommes requins, tous les hommes pourceaux,
Les princes du hasard plus fangeux que les rues,
Les goinfres courtisans, les altesses ventrues,
Toute gloutonnerie et toute abjection,
Depuis Cambacérès jusqu'à Trimalcion.


Victor Hugo - 4 février 1853

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3 février 2006 5 03 /02 /février /2006 00:00

Victor Hugo datait souvent ses poèmes. Il en a écrit tellement qu'on en trouve à toutes les dates de l'année :

N'ayant pas trouvé de poème de Victor Hugo daté d'un 3 février précisément,
nous vous proposons celui-ci, qu'il écrivit en février 1843 ( sans mention du
jour exact) :

+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.+.

LES CONTEMPLATIONS

LIVRE TROISIEME - LES LUTTES ET LES RÊVES

- IX -


Jeune fille, la grâce emplit tes dix-sept ans.
Ton regard dit : Matin, et ton front dit Printemps.
Il semble que ta main porte un lys invisible.
Don Juan te voit passer et murmure : Impossible !
Sois belle. Sois bénie, enfant, dans ta beauté.
La nature s'égaie à toute ta clarté ;
Tu fais une lueur sous les arbres ; la guêpe
Touche ta joue en fleur de son aile de crêpe ;
La mouche a tes yeux vole ainsi qu'à des flambeaux.
Ton souffle est un encens qui monte au ciel. Lesbos
Et les marins d'Hydra, s'ils te voyaient sans voiles,
Te prendraient pour l'Aurore aux cheveux pleins d'étoiles.
Les êtres de l'azur froncent leur pur sourcil
Quand l'homme, spectre obscur du mal et de l'exil,
Ose approcher ton âme, aux rayons fiancée.
Sois belle. Tu te sens par l'ombre caressée,
Un ange vient baiser ton pied quand il est nu,
Et c'est ce qui te fait ton sourire ingénu.


Victor Hugo - Février 1843

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