Reprenons notre voyage au pays du design, pays peuplé d’individus chargés de relooker des objets en les vendant à un prix inversement proportionnel à leur praticité.
Observons donc cette curieuse chose :
Non, je ne me suis pas trompé de site : nous ne sommes pas chez Leroy Merlin ou Castorama au rayon des gros matériaux, tendance parpaing de la Dame en noir ! Cette illustration est issue du site Absolument Design. Il s’agit en réalité d’un guéridon en béton. Pourquoi en béton ? Ben parce qu’on utilise un matériau inusuel pour ce type d’objet : on retrouve donc l’un des principaux paramètres du design, la nouveauté, même si elle débouche sur une incongruité frisant la maladie mentale, certes différente de celle de DSK qui lui manie le béton à la tonne.
Outre la nouveauté, le design comporte une autre constante : la destruction d’un aspect pratique ou l’ajout d’un défaut d’ordinaire absent, vu que sa présence constituerait une insulte au bon sens. Ce guéridon appartient à la deuxième catégorie : même s’il est fabriqué en béton « léger », son poids doit être supérieur à celui du guéridon adulte traditionnel et donc certainement peu pratique à manipuler.
Quant à la forme et la couleur, tous les égouts sont dans l’âne Arthur. Toutefois, j’ai l’impression que cet objet provient de la vente de garage ayant eu lieu à la suite du décès de M. Adolphe H. le 30 avril 1945 à Berlin. Pour ceux qui suivent cette chronique, rappelons que le style bunker fascine certains architectes. Après le Bauhaus, assisterons-nous à la naissance du Blockhaus ?
Mais laissons le rédacteur du site Absolument Design nous décrire ce meuble :
Des lignes pures, une matière brute, lisse et adoucie, le guéridon AC 101 d'Ascète est un véritable élément de décoration pour intérieurs pointus et résolument contemporains.
C’est quoi « un intérieur pointu et contemporain » ? Mais coco, tu piges rien ! C’est le contraire d’un extérieur arrondi et ancien. Évidemment, vu sous cet angle, je me sens très bête d’avoir posé la question.
Au début des années 90, dans son excellent ouvrage Théorie du Bordel Ambiant, Roland Moreno (l’inventeur de la carte à puces et d’autres objets) expliquait comment il procédait pout imaginer une nouvelle invention. Il dessinait des grilles à plusieurs entrées comportant divers paramètres : un nom d’objet, de matériau, de couleur, de forme, d’usage, d’une pièce de la maison, etc. Ensuite, il examinait le contenu du point de concours de ces différents paramètres pour en apprécier la pertinence dans la perspective une future création, un futur concept, bref d’une innovation puisqu'il exerçait la profession d’inventeur.
En observant ce guéridon improbable, j’ai la conviction que nos actuels designers récupèrent les scories de la méthode de Moreno. Quand on songe que ce meuble est vendu 1250 euros pour un format de 50 x 30 x 44 cm, il est légitime de penser que cette love scories est d’un excellent rapport.
Michel Tournon