Victor Hugo datait souvent ses poèmes. Il en a écrit tellement qu'on en trouve à toutes les dates de l'année :
LA LEGENDE DES SIECLES
XIV - LE POËTE AU VER DE TERRE
Non, tu n'as pas tout, monstre ! et tu ne prends point l'âme.
Cette fleur n'a jamais subi ta bave infâme.
Tu peux détruire un monde et non souiller Caton.
Tu fais dire à Pyrrhon farouche : Que sait-on ?
Et c'est tout. Au-dessus de ton hideux carnage
Le prodigieux coeur du prophète surnage ;
Son char est fait d'éclairs, tu n'en mords pas l'essieu.
Tu te vantes. Tu n'es que l'envieux de Dieu.
Tu n'es que la fureur de l'impuissance noire.
L'envie est dans le fruit, le ver est dans la gloire.
Soit. Vivons et pensons, nous qui sommes l'Esprit.
Toi, rampe. Sois l'atome effrayant qui flétrit
Et qui ronge et qui fait que tout ment sur la terre,
Mets cette tromperie au fond du grand mystère,
Le néant, sois le nain qui croit être le roi,
Serpente dans la vie auguste, glisse-toi,
Pour la faire avorter, dans la promesse immense ;
Ton lâche effort finit où le réel commence,
Et le juste, le vrai, la vertu, la raison,
L'esprit pur, le coeur droit, bravent la trahison.
Tu n'es que le mangeur de l'abjecte matière.
La vie incorruptible est hors de la frontière ;
Les âmes vont s'aimer au-dessus de la mort ;
Tu n'y peux rien. Tu n'es que la haine qui mord.
Rien tâchant d'être Tout, c'est toi. Ta sombre sphère
C'est la négation, et tu n'es bon qu'à faire
Frissonner les penseurs qui sondent le ciel bleu
Indignés, puisqu'un ver s'ose égaler à Dieu,
Puisque l'ombre atteint l'astre, et puisqu'une loi vile
Sur l'Homère éternel met l'éternel Zoïle.
Victor Hugo - 27 janvier 1877