24 juin 2006
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Voici un poème que Victor Hugo a écrit un 24 juin :
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TOUTE LA LYRE
LA CORDE D'AIRAIN
XVII - VICTOIRES ET CONQUÊTES DE LA RELIGION
Garaste a triomphé de l'encyclopédie.
Tartuffe est grand -- L'église avait la maladie ;
Elle est en traitement chez le docteur Véron.
Sbrigani joint les mains ; Crispin rentre au giron ;
Pasquin est parfumé de myrrhe et de cinname.
Robert Macaire vieux s'est senti dans son âme
Pris de l'ambition d'une honorable fin ;
Au paradis Veuillot il s'est fait séraphin.
Il s'y rend fort utile ; il ouvre la boutique ;
Il sait l'art d'ajuster le libelle au cantique ;
Et tout bas il murmure, à travers son Credo :
Quand je serai curé, Bertrand sera bedeau.
Ayant en qualité de regardeur oblique,
Un peu l'inspection de la chose publique,
Il surveille aujourd'hui l'esprit de nouveauté ;
Pour lui la presse libre est une obscénité,
Et la philosophie un tapage nocturne ;
Dans l'église le cloître et dans l'art le cothurne,
Dans l'état le sergent de ville ; tout est là.
Rien avant Hildebrand, rien après Loyola.
Scapin l'aide. Il déclame : Enfer ! crimes ! hérésies !
Tremblez, âmes déjà plus qu'à moitié roussies !
Honnêtes gens, c'est moi qui vous passe au tamis.
Ayez foi seulement dans le bon Dieu permis.
Songez que je suis là ! -- Mascarille dit : Gare !
La conscience humaine étant une bagarre,
Il s'en fait conducteur ; il sait le droit chemin ;
Il veut qu'après l'émeute et les grands coups de main,
Le peuple se repente, ait l'âme d'ennui pleine,
Pleure, et de la Bastille aille à la Madeleine.
Toute la vérité tient dans le Syllabus.
La pensée en dehord d'Ignace est un abus,
Et tout ce qui survient n'est qu'erreurs et tumultes ;
Debout au marchepied de l'omnibus des cultes,
Barrant la porte, il crie à tout venant : Complet !
Falstaff, dont le menton si gaîment se triplait,
Ets dévot. Que sert-il ? la messe. Il s'associe
Au dogme, et ses hoquets sentent l'orthodoxie ;
Il coud un psaume au bout de son ancien couplet ;
Une âme libre ouvrant ses ailes lui déplaît ;
Montant la garde autour du missel, ce gros homme
Prêche, et son ventre prend fait et cause pour Rome ;
Il dit qu'il ne faut pas laisser sans examen
L'homme communiquer avec l'esprit humain,
Qu'il est bon de tout craindre, et, de peur d'avanture,
De garder l'Eternel derrière une clôture ;
Il croit ; son estomac s'accouple au sacré-coeur ;
Au seuil noir du mystère il s'installe vainqueur,
Prêt à barricader me gouffre avec sa table ;
Il consacre au seul culte auguste et véritable
Ce qui reste à ses pieds des bons vins qu'in a bus ;
Il emploie à servir les Jéhovahs fourbus
Et les religions mortes ou corrompues,
Tout l'arsenal cassé de ses franches repues ;
Il n'entend pas qu'on aille à travers le ciel bleu,
L'ombre immense, en dehors du pape, chercher Dieu ;
Il refuse aux penseurs l'air, l'horizon, l'espace,
Plantant, pour empêcher que l'esprit humain passe
Au delà de la bulle In Coena Domini,
Tous ses culs de bouteille au mur de l'infini.
Victor Hugo - 24 juin 1870
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TOUTE LA LYRE
LA CORDE D'AIRAIN
XVII - VICTOIRES ET CONQUÊTES DE LA RELIGION
Garaste a triomphé de l'encyclopédie.
Tartuffe est grand -- L'église avait la maladie ;
Elle est en traitement chez le docteur Véron.
Sbrigani joint les mains ; Crispin rentre au giron ;
Pasquin est parfumé de myrrhe et de cinname.
Robert Macaire vieux s'est senti dans son âme
Pris de l'ambition d'une honorable fin ;
Au paradis Veuillot il s'est fait séraphin.
Il s'y rend fort utile ; il ouvre la boutique ;
Il sait l'art d'ajuster le libelle au cantique ;
Et tout bas il murmure, à travers son Credo :
Quand je serai curé, Bertrand sera bedeau.
Ayant en qualité de regardeur oblique,
Un peu l'inspection de la chose publique,
Il surveille aujourd'hui l'esprit de nouveauté ;
Pour lui la presse libre est une obscénité,
Et la philosophie un tapage nocturne ;
Dans l'église le cloître et dans l'art le cothurne,
Dans l'état le sergent de ville ; tout est là.
Rien avant Hildebrand, rien après Loyola.
Scapin l'aide. Il déclame : Enfer ! crimes ! hérésies !
Tremblez, âmes déjà plus qu'à moitié roussies !
Honnêtes gens, c'est moi qui vous passe au tamis.
Ayez foi seulement dans le bon Dieu permis.
Songez que je suis là ! -- Mascarille dit : Gare !
La conscience humaine étant une bagarre,
Il s'en fait conducteur ; il sait le droit chemin ;
Il veut qu'après l'émeute et les grands coups de main,
Le peuple se repente, ait l'âme d'ennui pleine,
Pleure, et de la Bastille aille à la Madeleine.
Toute la vérité tient dans le Syllabus.
La pensée en dehord d'Ignace est un abus,
Et tout ce qui survient n'est qu'erreurs et tumultes ;
Debout au marchepied de l'omnibus des cultes,
Barrant la porte, il crie à tout venant : Complet !
Falstaff, dont le menton si gaîment se triplait,
Ets dévot. Que sert-il ? la messe. Il s'associe
Au dogme, et ses hoquets sentent l'orthodoxie ;
Il coud un psaume au bout de son ancien couplet ;
Une âme libre ouvrant ses ailes lui déplaît ;
Montant la garde autour du missel, ce gros homme
Prêche, et son ventre prend fait et cause pour Rome ;
Il dit qu'il ne faut pas laisser sans examen
L'homme communiquer avec l'esprit humain,
Qu'il est bon de tout craindre, et, de peur d'avanture,
De garder l'Eternel derrière une clôture ;
Il croit ; son estomac s'accouple au sacré-coeur ;
Au seuil noir du mystère il s'installe vainqueur,
Prêt à barricader me gouffre avec sa table ;
Il consacre au seul culte auguste et véritable
Ce qui reste à ses pieds des bons vins qu'in a bus ;
Il emploie à servir les Jéhovahs fourbus
Et les religions mortes ou corrompues,
Tout l'arsenal cassé de ses franches repues ;
Il n'entend pas qu'on aille à travers le ciel bleu,
L'ombre immense, en dehors du pape, chercher Dieu ;
Il refuse aux penseurs l'air, l'horizon, l'espace,
Plantant, pour empêcher que l'esprit humain passe
Au delà de la bulle In Coena Domini,
Tous ses culs de bouteille au mur de l'infini.
Victor Hugo - 24 juin 1870