Lorsque l'on débat oralement ou par écrit, manifester son désaccord devient de plus en plus problématique. À l’instar d’Internet, le point Godwin vient mettre très rapidement une fin au débat. Rappelons que ce « point » se rapporte à une loi affirmant que plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1. Comme ce registre est vaste, il implique aussi le fascisme, l’extrême-droite, le FN et tous les épouvantails à chemises brunes.
Bien évidemment, si l’on jette l’anathème sur son contradicteur de la sorte, la discussion est stoppée, le débatteur visé est discrédité et il n’a pas intérêt à vouloir passer une seconde couche vue l’étiquette infamante qui lui collera à la peau. C’est donc tout bénéf pour les tenants d’une idéologie incertaine, incapable de produire un argumentaire cohérent.
La panoplie destinée à discréditer son opposant s’est enrichie récemment d’une nouvelle arme : le suffixe « phobe » ou « phobie ». La stratégie est redoutablement simple : on dévoie le sens d’un mot existant en lui attribuant un sens précis destiné à préserver l’intouchabilité de l’idéologie de celui qui le profère. Ainsi, dans le dictionnaire, l’existence du mot homophobe remonte à 1979*. L’islamophobie, quant à elle, n’est pas répertoriée dans ce même dictionnaire, alors que son utilisation se répand dans tous les médias. Plus récemment, on évoque la germanophobie, uniquement lorsque l’on n’apprécie pas la politique européenne de Mme Merkel.
Le Petit Robert nous informe que le sens du mot phobie, hors de son contexte initial concernant la psychologie, signifie aversion, horreur, dégoût. Je revendique mon aversion envers toutes les religions, en particulier l’islam qui fait beaucoup parler de lui un peu partout sur la planète. Bien évidemment, je ne souhaite pas l’internement et la destruction massive de tous les musulmans : on n’a jamais reproché aux bouffeurs de curés et autres mécréants de vouloir passer systématiquement au lance-flamme les catholiques alors que beaucoup d’entre eux ont fini sur un bûcher ! (les mécréants, pas les curés).
On peut éprouver de l’aversion voire du dégoût vis-à-vis des pratiques sado-maso, alors pourquoi pas vis-à-vis des pratiques homosexuelles ? On peut aussi se poser la question de l’origine de l’homosexualité, sujet tabou car sulfureux : si un jour on prouve qu’elle est acquise et non innée, comme le politiquement correct l’affirme, je vous laisse imaginer les conséquences. Ces considérations relèvent d’un avis voir d’un questionnement personnel qui ne dépend aucunement d’une idéologie malsaine assortie d'un triangle rose. Malgré tout, le délit d’homophobie existe et un glissement sémantique (pas tout à fait fortuit) définit comme homophobe celui qui réprouve l’homosexualité et par extension le mariage pour tous. Ce raccourci permet la confusion entre la discrimination – inacceptable - et le débat d’idées – nécessaire. C'est ainsi que l'on crée un faux argument d'autorité**. Et si vous ne partagez pas ce point de vue, c’est que vous êtes frappé d’hétérophobie…
En tout logique, l’avènement de ces néologismes devrait permettre d’exprimer plus finement sa pensée et donc de faire progresser le débat d’idées. Paradoxalement, on observe le résultat inverse : plus le champ lexical s’enrichit, plus la discussion risque d’être courte et de déboucher sur du noir ou du blanc, alors qu’il existe 50 nuances de grey.
Avec un peu d’imagination, il est aisé de prévoir les phobies à venir :
Le rapophobe : il n’aime pas le rap, donc les Noirs ; c’est un vilain raciste !
Le voisinphobe : il n’aime pas le boucan fait par son voisin, il est donc misanthrope si le voisin est blanc, raciste s’il est coloré.
L’Artcontemporainphobe : n’aime pas l’art contemporain ; demeuré conservateur proche du FN.
Quant à moi, la seule phobie qui me caractérise est celle des phobies : vive la phobiephobie !
Michel Tournon
*Version 2.1 du Petit Robert électronique
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