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12 janvier 2002 6 12 /01 /janvier /2002 18:40

De :  Herve Baudouy 

Date :  Samedi 12, Janvier 2002  18:40

Objet :  Pour les amateurs de "voyages"...

 

Salut à tous !

 

L'Agent de Voyages.

 

J'ai toujours entretenu avec le travail des rapports distants et néanmoins respectueux.

Je n'ai jamais trouvé une occupation rémunérée "amusante". Pendant des années, j'ai été le mouton noir de la famille. 

- "Tes vacances permanentes se passent bien ?" 

- "Tu ne t'ennuies pas ?" 

- "Pas trop fatigué de ne rien faire ?" 

-"Tu ne veux pas faire une pause , de temps en temps, essayer de faire quelque chose ?"

Et patati, et patata...

 

En fait, je voulais faire quelque chose ! Je voulais être Rêveur !Mais les opportunités en sont rares, dans les annonces classées...On pourrait même dire que le métier n'existe pas .

Mon psychiatre dit que ce n'est pas correct, d'être rêveur : il appelle ça "grandiose".

Tiens donc ! Einstein, Colomb, et tous les autres, n'étaient que des "grandioses", tout juste bons à être gavés de pilules ?

 

Bref, je tuais le temps à coups de Prozac et de télévision, en attendant le facteur, une offre d'emploi et un travail amusant.

 

Si on m'avait dit qu'une visite à mon oncle David changerait ma vie - et celles de quelques autres - , j'aurais ricané sinistrement... Comme si une de ses inventions bizarro-fumeuses et/ou explosives pouvait changer ou améliorer quoi que ce soit !

Il a inventé une fourchette électrique qui lui a percé les oreilles - et ça, bien avant que ce soit la mode !Vous riez de vos professeurs distraits ou carrément fous ? Vous n'avez pas rencontré Oncle David : David-Casse-Tout-Et-Trouve-Rien...

En fait, c'était lui, le mouton noir, pas moi ! Je ne lui arrivais pas au sabot !

 

Quand je suis arrivé chez lui, l'accueil fut le même que d'habitude : une explosion, de la fumée et des débris divers jaillissant de partout ; une cafetière supersonique ? Une télé photonique ? Une brouette à décollage Vertical ? ...

 

 

Il apparut à la porte, toussant , cherchant sa respiration, la veste en lambeaux et son pantalon transformé en short. Il me fit entrer, onclement amical - "comme c'est gentil d'être passé" , 

et toutes ces sortes de choses... Il m'emmena directement dans son laboratoire, au sous-sol. 

Il avait quelques incendies à éteindre, d'abord. Puis on s'est assis sur un divan rescapé, et on a déroulé le fil normal des commérages familiaux.

Ensuite, j'ai eu droit à une visite guidée de sa caverne magique. De nouvelles inventions infernales - et puantes... Il ne trouvait plus son lave-vaisselle supersonique :

- Il doit être monté au grenier; viens voir ça, plutôt.

 

Et il me montra...la Chose - laquelle, sans doute frileuse, s'abritait sous une couverture.

Il souleva le tissu avec respect. Bien sûr, je lui demandai ce que c'était, avec l'idée que tout cela n'était pas vraiment innocent. Ca ressemblait à un croisement entre une auto-tamponneuse et un sofa aménagé, le tout revu par Picasso et carrossé par le Père Ubu.

Une ribambelle de lampes clignotantes, trois mètres de long. Ca m'a fait penser à un accessoire de télévision, pour ces émissions de jeux qui aident à ne pas penser...

 

J'ai éclaté de rire, et ça a choqué Tonton... Il s'est lancé dans une tirade sur son invention, et c'était si complètement compliqué, qu'à côté, la navette spatiale, c'était un jeu de Lego...

- Le chef-d'œuvre dont tu te moques est peut-être ma plus grande 

invention. C'est ma Machine à voyager dans le temps. Elle replie le Temps grâce à une complexe mais très savante séparation de..." 

Quand il est arrivé au charabia scientifique, je l'ai arrêté. Vieille technique

- Super ! 

Mais il fallait relancer : il attendait que je dise quelque chose.

- Et ça fonctionne ?...

- Bien sûr ! Mais il y a un bug...Enfin, je pense que c'est un bug. Peut-être que c'est une bonne chose déguisée en bug. Elle remonte le temps, bien sûr, mais dans d'autres réalités ; ce qui fait que, si tu changes quelque chose, ça n'affecte pas forcément notre réalité... J'ai remonté le temps, et je me suis bien marré - et de nombreuses manières! - avec Marie Curie... J'ai mis de la marijuana dans la pipe d'Einstein ; tu sais quoi ? si tu penses que sa théorie de la Relativité est bizarre, t'aurais dû entendre ce qu'il sortait après avoir fumé ma "spéciale" ! Je suis remonté jusqu'à Cléopâtre, et je l'ai emmenée passer un week-end cochon à Acapulco..."

Il éclata de rire.

Je dois l'admettre : l'idée d'aller batifoler avec des gens du passé me plaisait ; je pouvais me payer des Modigliani pour quelques francs, et les revendre pour des millions. Bon, il faudrait d'abord chercher s'il avait existé des Modigliani perdus ou brûlés, puis remonter le temps, et acheter ceux-là ; sinon, on se retrouverait avec deux tableaux identiques, sauf que le mien, ayant l'air neuf, aurait passé pour faux...(Sans être "faux" il aurait été "anachronique", disons...) Il faut penser à tout...

J'ai demandé à mon oncle si on pouvait ramener des objets : une pièce par ci, une peinture par là. Il n'en était pas sûr, il n'avait pas essayé. A suivre...

 

La visite terminée, il m'a emmené dans son "reposoir" . Un bon sofa, de la musique, un bon verre de gin. Après le troisième verre, il s'est endormi tranquillement...

 

Sa machine m'obsédait. Je n'étais pas convaincu qu'elle fonctionnait, mais allez savoir...

C'était cette incertitude qui me titillait.

Et si ça marchait ? Je fantasmais sur une remontée du temps qui me permettrait de coller une grande baffe à Robespierre, de dire son fait à Napoléon, et de me payer un week-end "gaulois" à Deauville avec Sarah Bernhard...ou bien assister à la construction des Pyramides, les filmer, et voir combien je pouvais gagner avec ça...

 

C'est alors que le déclic s'est produit. J'ai bondi de mon fauteuil, en criant Eurêka - comme l'autre en retrouvant son savon. Je tenais mon idée ! Je pouvais emmener des amis, ou d'autres gens, dans des endroits comme les Pyramides ou le Parthénon, et les faire payer pour le voyage. Ou bien emmener des étudiants ou des historiens pour leurs recherches. Pourquoi se contenter de livres, quand on peut avoir une interview de Ravaillac ou de Danton; c'est vrai que ça poserait des problèmes de voir apparaître dans les notes ou dans la bibliographie: "Entrevue avec Danton - Août 1794" ...

 

Des billets de banque dansaient devant mes yeux. Je pouvais remonter le temps et parier à coup sûr - chevaux, loteries, tout pour moi ! Un monde de possibilités ! Très agité, je suis retourné au laboratoire. J'ai ôté la couverture du siège magique. Je me suis assis et j'ai

enfoncé le seul bouton visible... Une voix métallique est sortie d'un haut-parleur 

sur le tableau de bord :

- Où voulez-vous aller ? 

Ah ! Je n'avais pas pensé à ça ! Où et quand ? Des lieux et des personnages défilèrent à toute allure dans ma tête, sans s'arrêter sur quelque chose de précis... La voix répéta la

question…

... J'ai choisi un endroit : Dakota Building, à New York. Sans doute parce que j'écoutais Double Fantasy vingt fois par jour depuis une semaine. Ca laisse des traces ...Je pourrai peut-être flâner autour du bâtiment...

 

La voix demanda une date.

- 8 décembre 1980.

- A quelle heure ? 

- Oh...Environ 9 heures du soir, heure de l'Est.

 

Il y eut un grincement de cavalerie électronique, la chose trembla, des lumières clignotèrent violemment. Je ressentis une grande électricité statique autour de moi... et j'étais dans la rue, en face du Dakota Building. La nuit était froide, très froide, et très sombre. Je distinguai à peine le porche qui menait à la cour intérieure, ou les gens qui passaient.

 

Puis je remarquai une personne en particulier, qui semblait flâner innocemment, comme s'il attendait l'autobus. Je savais qui il était. Il avait quelque chose dans la main droite. Je savais que c'était un livre ; je savais même quel livre. Je commençais à avoir quelques idées. C'était comme une vision qui s'habillait de réalité. Une voiture passa, fenêtre ouvertes, ce que je trouvai bizarre à cette époque de l'année.

Je reconnus la chanson "Cousin Kevin" des Who...C'était un signe...

-Eh! Vous ! Que faites-vous là ? lançai-je en traversant la rue.

Le type semblait nerveux. Je devais l'avoir dérangé dans le cours de ses réflexions.

- Je me balade… Ou je vais rencontrer une célébrité… Vous savez qui habite là, n'est-ce-pas ?

- Non. Qui ?

L'homme me regarda, puis tourna la tête comme s'il voulait sourire sans me le montrer, pour ne pas me vexer.

- John Lennon! Il vit ici, avec cette Yoko.

- Vraiment ? 

Je fis celui que ça n'impressionnait pas. Cela sembla lui déplaire ; il m'ignora.

Là et maintenant, je voulais lui casser la gueule ! Je savais qui il était. C'est alors que je me souvins des paroles de mon oncle : une autre réalité...; et je pouvais y faire ce qui me plairait, sans affecter la suite de l'Histoire. Je jetai un œil sur  ma machine, juste à temps pour surprendre une femme qui cherchait à s'y installer...

- Eh! Vous, là-bas ! Ne vous gênez pas! Fichez le camp, ce truc est à moi !

Je traversai la rue en courant. Elle cracha vers moi, puis s'enfuit dans la nuit.

 

Je retournai mon regard vers le sale type. Il semblait se parler  à lui-même. Je n'entendais rien, avec le bruit des voitures… Je traversai la rue. Je savais que je devais faire quelque chose. Ma montre indiquait presque 10 heures. Je ne savais plus à quelle heure John et Yoko sont arrivés...ou devaient arriver plutôt, mais c'était un peu après 10 heures, je crois.

 

Il fallait agir, mais j'avais peur. Je ne suis pas violent, je ne suis pas méchant. Je ne me souviens même pas quand j'ai frappé quelqu'un pour la dernière fois... En dépit du froid très vif, je transpirais comme un porc. Mon coeur battait au grand galop. J'étais terrifié.

Je me suis éloigné; je ne savais pas si je devais quitter les lieux ou... Mais la machine ? Sans surveillance, quelqu'un la volerait et je serais bloqué ici...

 

Au coin de la rue, j'ai buté sur un gros bout de bois, de la taille d'un gourdin. C'était maintenant ou jamais ! Je tremblais en saisissant le bâton... Et je me suis senti traverser la rue en courant, puis frapper le type violemment; comme s'il y avait deux moi, et que j'observais l'autre agir... Les coups résonnaient comme lorsqu'on frappe un sac de sable humide. Étrange, non ? 

 

Puis ce fut comme si je retournais à un état primal, comme un gorille ou un singe, en frappant ce type avec acharnement. J'étais indifférent au sang qui giclait sur mes vêtements et ma figure. Quand vous avez vu quelques centaines de films d'horreur ou Rocky N+1, vous vous habituez, je pense. Des voitures passaient, mais tout se termina si vite que personne ne le remarqua.

 

Quand la cervelle du type se répandit sur le trottoir, j'ai mouillé mes pantalons. Des sirènes de police hululaient au loin. Le gardien de l'immeuble sortit et se mit à hurler. Je fonçais en zigzagant entre les voitures vers ma machine, et sautai sur le siège. La voix me demanda si je voulais retourner à mon point de départ; je hurlai que oui. Et vite ! Au moment où la machine se mit à cliqueter, je vis un quarteron de flics apparaître au coin de la rue… Ils s'évanouirent dans le temps et, en quelques instants, j'étais de retour dans le laboratoire de mon oncle.

 

Je n'avais pas regardé l'heure, lors de mon départ, mais je pense que je suis revenu exactement à la même heure.  Encore un effet secondaire, sans doute...

 

En dépit de mes pantalons détrempés, j'étais profondément satisfait, libéré de toute la haine accumulée en moi. Je me sentais  merveilleusement bien. C'était indicible... un autre homme, un homme nouveau... Et c'était un sentiment tellement fort, que des gens payeraient, et cher, pour connaitre cela. J'en étais sûr !

 

J'ai concocté un arrangement avec mon oncle. Et finalement, ça lui a rapporté assez d'argent pour continuer ses recherches.  En trois mois, nous faisions "naviguer" trois machines à plein rendement. Étonnant - et amusant - de voir les gens faire la queue, munis d'armes diverses, uniquement pour retourner au 8 décembre,  et fracasser la tronche du type qui a flingué John Lennon ... Il y avait des punks, des rockers à l'allure effrayante, avec des chaines et des bâtons de base-ball hérissés de clous;  des types genre "pan de mur-catcheur", avec des excroissances musculaires fascinantes...

 

Bien sûr, il y avait des clients pour aller discuter avec Einstein, faire la nouba avec Hemingway,  écouter des vers chez Racine, ou bien se taper un week-end érotique avec Cléopâtre...

 

Vous seriez surpris par la capacité des gens à imaginer ce qu'ils vont faire subir aux autres, quand ils ont la certitude de s'en tirer sans une égratignure. Je ne sais pas si mon psychiatre appellerait cela "grandiose"...

 

Avec le tas d'argent qui grandissait, je ne me posais plus, depuis longtemps, de question sur ma place dans la vie, et dans ce monde... Ca n'a pas fait de mal non plus à mon image de marque dans la famille... Mon petit frère veut retourner dans son passé pour revivre la nuit où  il a rencontré sa petite amie et...bref, encore un fantasme.

Dans les mois qui viennent, je raconterai d'autres inventions de mon

oncle.. Mais pour l'instant, j'ai une envie terrible et urgente de retourner au

"Dakota" pour casser la gueule à un certain M. Chapman...

 

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Bonne fin de semaine !

Hervé

 

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hbaudouy@videotron.ca

http://www.multimania.com/herweb/humour.htm

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