Ça fait un moment que je voulais écrire cette chronique, mais je me retenais. Maintenant, c’est trop tard : la soupape laisse la vapeur de mon indignation se répandre dans l’atmosphère d’un monde dont la médiocrité n’a d’égale que sa veulerie.
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part la ramènent à nouveau à propos du changement de numérotation des plaques minéralogiques et de la diminution du nombre de provinces, voire de la fusion de certaines d’entre elles.
À les entendre, on se croirait à la Péquenots Parade ! Si on leur demande pourquoi ils sont attachés à un numéro de département ou à un nom de région, ils répondent invariablement qu’ils sont fiers, d’être Bretons, Ch’tis, Auvergnat.... Alors là, je pose la question : la plupart du temps, ces bouseux des temps modernes revendiquent leur attachement à leur terre natale ; pourquoi la glèbe collant à leurs sabots serait-elle d’une qualité supérieure à celle des natifs des départements voisins ? Et je me permets alors de poser une deuxième question : comment peut-on être fier de quelque chose qui échappe à notre propre volonté ? On ne choisit pas son lieu de naissance !
Que l’on soit fier d’avoir, à la force du poignet ou du jarret, gravi les degrés de l’échelle sociale, soit ; que l’on soit fier du temple d’Abou Simbel que l’on vient de construire en 6785 jours et 7899654342 allumettes, d’accord ! D’accord également pour celui qui a lu tout Proust sans pleurer comme une madeleine… Mais être fier de l’endroit où sa maman est passée naturellement de l’état gravide à celui de parturiente, là, je prétends que c’est n’importe quoi.
Comment, que dites-vous ? Les racines ? Les analogies sont quelquefois faciles ou hasardeuses, mais je pense que les mots « racine » et « racisme » ne sont pas très éloignés, tant au plan graphique que sémantique. Car enfin, si l'on doit être fier de l’endroit où nous proférâmes nos premiers vagissements, serions nous fier, de la même façon, d’être né à 500 km de là ? Voire dans un autre pays ? La réponse est oui ! Donc, si n’importe qui peut être fier de n’importe quel endroit où il naît, cette fierté imbécile n’a plus aucun sens et si en plus personne ne croyait en Dieu, il n’y aurait certainement plus de guerre…
Je comprends toutefois les habitants du département du Rhône qui restent attachés au numéro de leur plaque d’immatriculation. Pour le reste, tel le regretté Patrick Mac Gohan, j'affirme haut et fort que je ne suis pas un numéro mais un homme libre !
Michel Tournon