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30 septembre 2014 2 30 /09 /septembre /2014 10:22

Voici un poème que Victor Hugo a écrit le 30 septembre 1870 :

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L'ANNEE TERRIBLE

SEPTEMBRE

V - A PETITE JEANNE
 

Vous eûtes donc hier un an, ma bien-aimée.

Contente, vous jasez, comme, sous la ramée,

Au fond du nid plus tiède ouvrant de vagues yeux,

Les oiseaux nouveau-nés gazouillent, tout joyeux

De sentir qu'il commence à leur pousser des plumes.

Jeanne, ta bouche est rose ; et dans les gros volumes

Dont les images font ta joie, et que je dois,

Pour te plaire, laisser chiffonner par tes doigts,

On trouve de beaux vers ; mais pas un qui te vaille

Quand tout ton petit corps en me voyant tressaille ;

Les plus fameux auteurs n'ont rien écrit de mieux

Que la pensée éclose à demi dans tes yeux,

Et que ta rêverie obscure, éparse, étrange,

Regardant l'homme avec l'ignorance de l'ange.

Jeanne, Dieu n'est pas loin puisque vous êtes là.

 

Ah ! vous avez un an, c'est un âge cela !

Vous êtes par moments grave, quoique ravie ;

Vous êtes à l'instant céleste de la vie

Où l'homme n'a pas d'ombre, où dans ses bras ouverts,

Quand il tient ses parents, l'enfant tient l'univers ;

Votre jeune âme vit, songe, rit, pleure, espère

D'Alice votre mère à Charles votre père ;

Tout l'horizon que peut contenir votre esprit

Va d'elle qui vous berce à lui qui vous sourit ;

Ces deux êtres pour vous à cette heure première

Sont toute la caresse et toute la lumière ;

Eux deux, eux seuls, ô Jeanne ; et c'est juste ; et je suis,

Et j'existe, humble aïeul, parce que je vous suis ;

Et vous venez, et moi je m'en vais ; et j'adore,

N'ayant droit qu'à la nuit, votre droit à l'aurore.

Votre blond frère George et vous, vous suffisez

A mon âme, et je vois vos jeux, et c'est assez ;

Et je ne veux, après mes épreuves sans nombre,

Qu'un tombeau sur lequel se découpera l'ombre

De vos berceaux dorés par le soleil levant.

 

Ah ! nouvelle venue innocente, et rêvant,

Vous avez pris pour naître une heure singulière ;

Vous êtes, Jeanne, avec les terreurs familière ;

Vous souriez devant tout un monde aux abois ;

Vous faites votre bruit d'abeille dans les bois,

Ô Jeanne, et vous mêlez votre charmant murmure

Au grand Paris faisant sonner sa grande armure.

Ah ! quand je vous entends, Jeanne, et quand je vous vois

Chanter, et, me parlant avec votre humble voix,

Tendre vos douces mains au-dessus de nos têtes,

Il me semble que l'ombre où grondent les tempêtes

Tremble et s'éloigne avec des rugissements sourds,

Et que Dieu fait donner à la ville aux cent tours

Désemparée ainsi qu'un navire qui sombre,

Aux énormes canons gardant le rempart sombre,

A l'univers qui penche et que Paris défend,

Sa bénédiction par un petit enfant.

Paris, 30 septembre 1870

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