Voici un poème que Victor Hugo a écrit un 4 mars :
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LES CHÂTIMENTS
RELIQUAT
II - NOUVEAUX CHÂTIMENTS
Même pour le proscrit, avril veut bien renaître,
Tandis que les oiseaux, chantant leurs joyeux chants,
Les fleurs et le soleil jouaient sous ma fenêtre
Ensemble dans les champs ;
Tandis que, remplissant d'amour la créature,
L'espace de rayons, de parfums le ravin,
Le beau printemps faisait de toute la nature
Un sourire divin ;
Tandis que tout riait, filles à la fontaine,
Chevriers sur la route, et qu'au ciel l'aquilon
Courait après la nue et l'enfant dans la plaine
Après le papillon,
Je songeais. - Je pensais, grave et presque en prière,
A ces hommes que Dieu fit pareils au matin,
Et qui vinrent, ayant sur le front de lumière
De l'avenir lointain.
Ils s'appellent progrès, la foule les renie.
Ils saignent, sur la claie à la gloire traînés ;
Ils étaient la raison, la vertu, le génie,
Ils sont les condamnés.
Leur crime c'est d'avoir, du haut de la montagne,
Fait lire au genre humain le céleste alphabet ;
A celui-ci l'exil, à celui-là le bagne,
A cet autre un gibet ;
Au sage la ciguë, au vrai la croix immonde ;
L'un monte sur la cime et se jette au volcan ;
L'autre expire au bûcher ; cet autre donne au monde
Et reçoit un carcan.
Et comme enseveli sous des ombres funèbres,
Je n'apercevais plus ce gai soleil d'été ;
Rêveur, j'avais les yeux ouverts dans les ténèbres
De notre humanité ;
Et dans cette âpre nuit, si noire et si voilée,
Je regardais passer, montrant du doigt les cieux,
Avec leur auréole aus épines mêlée,
Ces Christs mystérieux.
Victor Hugo - 4 mars 1853, Jersey